Kateb Yacine: "Je suis d’abord allé à l’école coranique, je n’aimais pas la religion, en fait je l’ai detesté, en particulier quand on nous frappait avec une règle sur la plante des pieds pour nous faire apprendre le Coran, par cœur. À l’école française, la maîtresse était comme une seconde mère pour nous. Celle que j’ai eue était extraordinaire. Elle savait comment nous intéresser. Elle nous donnait envie d’aller à l’école.
L’Algérie est un pays subjugué par le mythe de la nation arabe, car c’est au nom de l’arabisation que l’on réprime le Tamazight. En Algérie, comme dans le monde entier, on croit que l’arabe est la langue des Algériens.
Aujourd’hui, par les armes, nous avons mis fin au mythe ravageur de l’Algérie française, mais pour tomber sous le pouvoir d’un mythe encore plus ravageur : celui de l’Algérie arabo-musulmane, par la grâce de dirigeants incultes. L’Algérie française a duré cent trente ans. L’arabo-islamisme dure depuis treize siècles ! L’aliénation la plus profonde, ce n’est plus de se croire français, mais de se croire arabe. Or il n’y a pas de race arabe, ni de nation arabe. Il y a une langue sacrée, la langue du Coran dont les dirigeants se servent pour masquer au peuple sa propre identité !
C’est l’arabo-islamisme qui a abouti à l’asservissement et à la dégradation de la femme chez nous.
Ces religions ont toujours joué un rôle néfaste. Il faut s’y opposer avec la dernière énergie. On les voit maintenant à l’œuvre. On les voit en Israël, en Palestine, on les voit partout. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité. Ce sont des facteurs d’aliénation profonde. Voyez le Liban. Ça se passe devant nous. Regardez le rôle des chrétiens, des musulmans et des juifs. Il n’y a pas besoin de dessin. Ces religions sont profondément néfastes et le malheur de nos peuples vient de là. Le malheur de l’Algérie a commencé là. Nous avons parlé des Romains et des chrétiens. Maintenant, parlons de la relation arabo-islamique ; la plus longue, la plus dure, la plus difficile à combattre […] C’est dur de lutter contre une telle couche d’aliénation. Pendant ces treize siècles, on a arabisé le pays mais on a en même temps écrasé le tamazight, forcément. Ça va ensemble. L’arabisation ne peut jamais être autre chose que l’écrasement du tamazight. L’arabisation, c’est imposer à un peuple une langue qui n’est pas la sienne, et donc combattre la sienne, la tuer. Comme les Français quand ils interdisaient aux écoliers algériens de parler arabe ou tamazight parce qu’ils voulaient faire l’Algérie française. L’Algérie arabo-islamique, c’est une Algérie contre elle-même, une Algérie étrangère à elle-même. C’est une Algérie imposée par les armes, parce que l’islam ne se fait pas avec des bonbons et des roses. Il s’est fait dans les larmes et le sang, il s’est fait par l’écrasement, par la violence, par le mépris, par la haine, par les pires abjections que puisse supporter un peuple. On voit le résultat."
« Aux origines des cultures du peuple : entretien avec Kateb Yacine » (1987), dans Revue Awal, n° 9/1992.